Délicâli

À quoi bon apprendre des langues étrangères ?

Première rédaction le 17 février 2021.


Certaines personnes m’ont dit qu’elles apprenaient telle ou telle langue majoriataire, comme le chinois ou l’espagnol, car leur grand nombre de locuteurs leur assure de pouvoir parler avec tout autant de personnes. Même si je n’ai jamais trop compris comment on pouvait parler à autant de monde dans une seule vie, je respecte cette idée car, dans cette société où toute volonté se traduit en projet, chacun fait comme il peut pour trouver tant bien que mal du sens dans ce qu’il fait. Mais si je peux me permettre, je voudrais vous présenter une autre idée.

Une langue ne s’apprend pas seulement, on peut aussi la vivre, et je trouve que c’est là que ça devient intéressant. Lorsqu’on la vit, une langue devient plus qu’un outil, elle devient une expérience toute personelle. En parlant une langue étrangère, je peux être quelqu’un d’autre. Enfin, je suis toujours la même personne, mais je peux changer mon attitude vis-à-vis des autres, changer le genre de pensées qui trottent dans mon tête, changer le déroulement usuel de mon monologue intérieur, changer mon regard sur ce qui m’entoure et ceux qui m’entourent. Apprendre devient alors plus une question d’attitude que de mémoire. Je m’imprègne des codes, des valeurs et des idées de la langue-culture autant que de ses mots, voire même plus. En pratiquant la langue, je m’autorise et je m’exerce à être différent.

C’est extrêmement libérateur pour moi. J’ai plusieurs identités. Je pense que j’en ai même toujours eu plusieurs ; c’est juste que j’étais dans l’illusion d’une unité et que je ne faisais vivre qu’une seule d’entre elles. Accepter et cultiver son pluralisme, voilà ce que peut apporter l’apprentissage d’une langue étrangère, pour un peu que l’on joue à ce jeu d’acteur.

J’aime penser que les langues étrangères sont comme des êtres humains. Il peut naître une affinité spontanée et naturelle entre moi et cette étrange langue. Tout comme avec les êtres humains, je me sens plutôt attiré par certaines et repoussé par d’autres, sans trop savoir pourquoi. Mais quand l’amour m’appelle, je fonce ; inutile de trouver une raison, de me justifier. J’ai tiré de cet amour une énergie, un carburant, une force si puissante, ma plus grande force pour apprendre le japonais.

L’amour est une chose difficile à expliquer, mais je pense que les sentiments ne sont en rien le fruit du hasard. Sans s’en rendre forcément bien compte, on est attiré par ceux qui ont ce qui nous manque, ceux qui sont ce que l’on voudrait être. On se projette dans l’autre, on s’imagine être comme lui. Là encore, il en va de même pour les langues : si j’aime cette langue, c’est parce que je m’imagine la vivre, être un peu comme ces gens-là, je m’y projette et je voudrais devenir cette projection. Ce faisant, une langue peut m’aider à me révéler à moi-même, à me faire me prendre conscience de qui je suis et de qui je peux être. Voilà une aide formidable dans la quête de la connaissance de soi.